Quand vieillir renforce l'expérience sensorielle des concepts


Date
May 20, 2021 11:40 — 15:30
Location
Lyon, France
35 Rue Raulin
69007 Lyon

Introduction. La cognition incarnée suggère l’intervention des processus sensorimoteurs dans le traitement et la représentation sémantique (Barsalou, 2008). Ces théories ne sont toutefois que très peu investiguées dans le vieillissement. Pourtant, l’étude de l’ancrage des connaissances constitue un point de départ intéressant pour explorer les changements de la cognition liés à l’âge, avec ou sans trouble cognitif (Vallet, 2015). Chez l’adulte âgé sain, l’accumulation d’expériences par rapport aux jeunes adultes contribue à façonner le contenu de leur lexique et de leurs représentations sémantiques (Johns et al., 2019) et pourrait également conduire à un ancrage sensorimoteur des concepts plus robuste. D’ailleurs, les réorganisations des réseaux neuraux soutenant la cognition sémantique ont largement été démontrées chez la personne vieillissante (e.g. Persson et al., 2007 ; Spreng et al., 2010; Spreng & Turner, 2019 ; Pistono et al., 2020 ; voir Hoffman & Morcom, 2018 pour une méta- analyse). Des données relatives à l’expérience sensorielle (la force perceptuelle, FP) sont collectées chez de jeunes adultes (Lynott & Connell, 2009, 2013), mais jamais chez des personnes âgées. L’objectif de cette étude est d’investiguer l’effet de l’âge sur la FP des concepts en comparant l’évaluation de 270 mots de la langue française réalisée par de jeunes adultes et des personnes âgées.

Méthode. 141 participants jeunes (100 femmes) âgés de 18 à 50 ans (MA = 25.75 ; ET=7.43) (données récoltées dans une précédente étude Miceli et al., soumis) et 57 participants seniors (41 femmes) âgés de 65 à 86 ans (MA = 74.26; ET=4.92) ayant le français pour langue maternelle ont participé à cette étude. Les scores de FP ont été récoltés en demandant aux participants d’estimer leur niveau d’expérience perceptuelle concernant 270 concepts pour chacune des 5 modalités sensorielles sur une échelle de 0 (aucune expérience) à 5 (expérience très forte). Les participants ont également répondu à un questionnaire 28permettant de mettre en évidence d’éventuels troubles sensoriels afin de contrôler leur impact sur leurs réponses.

Résultats. Une ANOVA à deux facteurs (5 modalités x 2 âges d’évaluation) montre un effet de modalité [F(4,1076)=287.85 ; p<.000] ainsi qu’un effet de l’âge [F(1,269)=19.94 ; p<.000]. Enfin, un effet d’interaction entre la modalité et l’âge est observé [F(4,1076)=17.31 ; p<.000], l’évaluation de la FP des personnes âgées pour les 270 concepts est significativement plus élevée que celle des jeunes adultes pour toutes les modalités sensorielles [p<.001], à l’exception de la modalité visuelle [t(270)=1.39; p=.166]. Toutefois, la modalité visuelle présente une évaluation moyenne plus élevée (jeunes et âgés) que dans les autres modalités.

Discussion. Le bagage sémantique des adultes âgés sains continue de s’accumuler avec l’avancée en âge (Hoffman, 2019 ; Park et al., 2001 ; Verhaeghen, 2003), il semble alors logique que l’expérience perceptuelle associée aux concepts continue de s’étoffer avec le temps. Les résultats indiquent ainsi une augmentation significative de la FP auditive, haptique, gustative et olfactive dans le vieillissement. Les résultats non significatifs pour la modalité visuelle peuvent s’expliquer par la prédominance de cette modalité chez tous les humains voyants (Posner et al., 1976). Ces données sont particulièrement intéressantes dans la mesure où la FP présente une valeur sémantique (Chedid et al., 2019 ; Miceli et al., soumis). Les conséquences d’une plus grande FP chez les aînés ouvrent ainsi des perspectives de recherche novatrices.